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Le 27 Septembre 2021 13 min

Malgré les crises, le gouvernement n’a eu de cesse de distribuer des aides et de baisser les impôts des entreprises sans contrepartie, tout en mettant la Sécurité sociale à contribution.

C’est le dernier. Bruno Le Maire a présenté la semaine passée le cinquième budget du quinquennat. En conférence de presse à Bercy mercredi, le ministre des Finances s’est montré particulièrement fier ne pas avoir « varié » sur les baisses des impôts, « malgré les difficultés et les tournants politiques ».
En cinq ans, le taux de prélèvement obligatoires (impôts et cotisations) devrait diminuer de plus d’un point et demi, passant de 45,1 % du PIB en 2017 à 43,5 % en 2022. « Il est à souligner que c’est le plus bas taux depuis 2011 », a précisé Olivier Dussopt, ministre délégué aux Comptes publics.
Il s’agit du seul objectif rempli parmi les trois fixés en début de mandat, résumés par le triptyque « 5, 3, 1 » : réduire la dette de 5 points de PIB, soit une centaine de milliards d’euros, le déficit de 3 et les prélèvements obligatoires de 1. Ce bilan révèle une chose : face aux crises historiques, sociale puis sanitaire, qui ont frappé le pays, le gouvernement s’est accordé des marges budgétaires, a dévié de sa trajectoire budgétaire pour affronter les tempêtes, mais le fond de sa politique n’a pas changé, au contraire, il n’a fait que l’approfondir.
La stratégie initiale consistait à poursuivre la politique en faveur des entreprises et du capital lancée sous François Hollande avec le pacte de responsabilité et le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE). Il s’agissait de basculer ce dernier en baisses de cotisations pérennes, de diminuer progressivement l’impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % et, bien sûr, de faire drastiquement chuter la fiscalité sur le capital : à la fois sur le patrimoine, via le remplacement de l’ISF par l’IFI, et sur le revenu, avec la flat tax (ou PFU).
Tous ces dispositifs ont été appliqués et aucun n’a été remis en cause durant le quinquennat, ce qui a valu à Emmanuel Macron l’étiquette de « président des riches », les études de l’IPP ayant démontré que, jusqu’à la pandémie, les 1 % les plus riches demeuraient les grands gagnants de ses choix budgétaires.
Des économies sur la Sécurité sociale
Seulement, de tels cadeaux sont très coûteux pour les finances publiques. Or, l’exécutif tenait à réduire le déficit. Dans la trajectoire des finances publiques envoyée à Bruxelles au printemps 2018, il promettait même de dégager un léger excédent en 2022. Pour y parvenir tout en allégeant la fiscalité du capital, le gouvernement a choisi d’augmenter tout de suite certains impôts, notamment la CSG et les taxes sur le tabac et l’énergie – les mesures en faveur du pouvoir d’achat, à savoir la suppression de la taxe d’habitation et des cotisations salariales, ont été accordées en plusieurs fois – contribuant à allumer la mèche des gilets jaunes. Il a aussi et surtout décidé de baisser les dépenses publiques.
« En comparaison internationale, on observe deux postes de dépenses plus élevés en France qu’en moyenne : les affaires économiques, autrement dit les aides aux entreprises, et la protection sociale », rappelle Clément Carbonnier, chercheur au Liepp de Sciences Po Paris. « Le plan du gouvernement était de ne toucher qu’à la protection sociale et, de ce point de vue, on peut dire qu’ils ont tenu leur cap. »
Logement, assurance chômage et retraites, l’objectif est de rétrécir la Sécurité sociale, jugée trop coûteuse et inefficace. Le quinquennat a commencé par la fameuse de baisse de 5 euros des APL et la sous-revalorisation des pensions et des minima sociaux, à l’exception de l’allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse.
Les crises ont conduit le gouvernement à temporiser, mais il n’a pas tardé à remettre ses réformes sur les rails. Le grand débat post-gilets jaunes clos, il lançait la réforme des retraites, à nouveau mise de côté à cause du Covid mais toujours d’actualité. En pleine épidémie, il a appliqué celle des APL, ainsi que le volet le plus controversé de la réforme de l’assurance chômage, qui devait entrer en vigueur au 1er juillet avant que le Conseil d’Etat, saisi par les syndicats, ne s’interpose.
Sans oublier la bride sur les dépenses de santé. L’évolution du budget de l’assurance maladie est restée inférieure au niveau des besoins, alors que plusieurs défis, comme le vieillissement de la population, supposent d’investir.
« La pandémie a fait exploser les coûts de façon conjoncturelle mais, sur le plan structurel, la logique n’a pas changé. Malgré le Ségur, la politique de fermeture de lits continue », souligne Clément Carbonnier.
Haro sur les cotisations
A chaque crise, le gouvernement a lâché du lest sur les dépenses, mais toujours dans le même sens, accélérant vers le cap défini au départ.
Face à la colère des gilets jaunes, Emmanuel Macron a rendu une partie du pouvoir d’achat entamé en gelant la taxe sur les carburants et en revenant sur la hausse de CSG pour les retraités moyens et modestes, puis en réindexant leur pension sur l’inflation après le grand débat national de 2019. Puisqu’à tout problème sa baisse d’impôt, il a aussi décidé de défiscaliser et désocialiser les heures supplémentaires et la prime exceptionnelle, créée à cette occasion. S’y est ajoutée par la suite la diminution de l’impôt sur le revenu pour les deux premières tranches à partir de 2020. Sans oublier une mesure phare : la hausse de 90 euros de la prime d’activité, en une seule fois au lieu de quatre.
Ces choix qui améliorent l’ordinaire des ménages ont en revanche un impact sur le financement de la Sécurité sociale. Les exonérations impliquent, par définition, de ne plus verser de cotisations. Il en va de même de la prime d’activité qui n’est pas du salaire et n’induit donc pas de prélèvements sociaux. Et, nouveauté sous ce quinquennat, l’Etat ne compense plus à la Sécurité sociale les ristournes que le gouvernement accorde.
Par exemple, il n’a pas bouché le trou laissé par la baisse de la CSG pour les retraités modestes et moyens. Rappelons que cette hausse d’impôt pour tous les actifs et les retraités plus aisés remplace la suppression des cotisations salariales... On retrouve le même principe avec l’activité partielle. Comme l’aide est versée à la place du salaire, les cotisations, et donc les recettes de la Sécurité sociale, se sont réduites, alors qu’en même temps elle était mise à contribution : un tiers du coût de l’activité partielle a été inscrit sur les comptes de l’Unédic, le gestionnaire de l’assurance chômage.
Relance de la consommation
Parallèlement à ces mesures gilets jaunes prises en 2018, hormis le gel sur une année de l’impôt sur les sociétés, le gouvernement n’est revenu sur aucun des dispositifs en faveur des entreprises, pas même la bascule du CICE, consistant à payer une double facture en 2019 – le crédit d’impôt dû au titre de l’année 2018 et « l’allègement » des cotisations, soit un coût total de 40 milliards d’euros –, refaisant passer le déficit au-dessus des 3 %.
Certes, d’un point de vue macro-économique, on peut considérer, à l’instar du chercheur au Cepii Thomas Grjebine, que les nouvelles décisions en faveur des ménages constituent « un tournant ».
« Ce quoi qu’il en coûte avant l’heure a stimulé la consommation. Les carnets de commandes sont le premier déterminant de l’investissement. Même s’il est difficile d’évaluer avec précision l’impact de ces mesures, elles expliquent les meilleurs résultats économiques de la France par rapport à ses voisins européens à cette période », estime l’économiste.
En effet, alors qu’en 2019 la croissance a ralenti presque partout en Europe, elle s’est maintenue dans l’Hexagone au même rythme que l’année précédente à 1,8 %, bien au-dessus des prévisions des économistes qui tournaient à l’époque autour de 1,5 % voire 1,3 %. Résultat, les créations d’emplois sont restées très dynamiques et le chômage a accéléré sa décrue : de 0,6 point entre 2019 et 2018, contre 0,3 point entre 2018 et 2017.
En revanche, le choix des mesures montre qu’elles poursuivent la même politique en faveur du capital.
Aides aux entreprises sans contrepartie
« Dans ma circonscription, les Français me disaient que le problème était non seulement d’avoir un salaire bas mais surtout de rester bloqué à ce niveau de rémunération, de ne pas connaître de progression salariale », relate la députée de la Meuse Emilie Cariou, qui a quitté la majorité LREM au printemps 2020 et est aujourd’hui co-présidente des Nouveaux Démocrates.
Plutôt que d’augmenter le Smic, de renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs, via les syndicats, ou de lancer des discussions au niveau des branches professionnelles, la réponse d’Emmanuel Macron aux gilets jaunes a été, en substance : « si vous voulez gagner plus, il faudra travailler plus ». Un discours qui n’est pas sans rappeler quelques souvenirs... Au fond, la prime d’activité et la défiscalisation des heures supplémentaires vont dans le sens d’une vieille obsession patronale, à savoir l’augmentation du temps de travail.
« Aux Etats-Unis, Joe Biden répond aux patrons qui se plaignent d’avoir des difficultés à trouver des travailleurs "payez-les plus". En France, le gouvernement a constamment refusé de mettre le Medef à contribution pour traiter la crise sociale », déplore Emilie Cariou.
Le même schéma a été appliqué lorsque la pandémie a éclaté, mais dans des proportions évidemment sans commune mesure. Comme partout dans le monde, le gouvernement a massivement augmenté les dépenses publiques : 230 milliards d’euros ont été mobilisés pour les mesures d’urgence – principalement le chômage partiel et le fonds de solidarité – et de relance en deux ans. « C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de l’Etat, croyez-moi ce n’est pas tous les jours qu’un ministre des Finances vous dira : "vous avez besoin d’argent ? Je vous en donne !" », s’est exclamé Bruno Le Maire, s’adressant à des chefs d’entreprise lors d’un événement organisé par Bpifrance en septembre 2020.
« L’Etat a pris en charge les salaires et les coûts fixes des entreprises, cela a permis de maintenir l’emploi, tant mieux, mais, une fois encore, il s’agit d’un cadeau qu’il leur a fait, sans contrepartie », relève la députée Emilie Cariou. Cela n’a d’ailleurs pas empêché les grands groupes de licencier ou de verser des dividendes après avoir bénéficié de ces aides.
Le gouvernement a aussi profité de ses nouvelles marges budgétaires, rendues possibles grâce au soutien de la Banque centrale européenne, pour accéder à l’une des vieilles demandes du patronat. La mesure emblématique du plan de relance, représentant à elle seule le cinquième de l’enveloppe total, est la baisse de 10 milliards d’euros par an des impôts de production, accordée, une fois encore, sans contrepartie.
Le mécanisme est certes « plus ciblé » que les ristournes sur la fiscalité du capital, note Thomas Grjebine du Cepii. Il doit permettre, d’après Bruno Le Maire, de rendre les entreprises plus compétitives à l’export et de favoriser la réindustrialisation. Seulement, en y regardant de plus près, ce discours laisse dubitatif. Car cette mesure ne concerne que la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), or, « les deux tiers de la baisse de cet impôt sont captés par 3 % des entreprises », selon la députée Emilie Cariou. « Par ailleurs, le gain moyen pour les entreprises du secteur financier est supérieur à celui de l’industrie. »
Le plan de relance consacre également 7,6 milliards d’euros au titre de l’activité partielle de longue durée, qui n’est autre qu’un outil de restructuration financé par l’Etat. Les entreprises peuvent de cette manière ajuster le temps de travail sans en supporter le coût.
Mauvais diagnostic
A l’inverse, les mesures pour soutenir les plus précaires fortement frappés par la crise sont dérisoires par rapport au budget global : 600 millions d’euros débloqués pour les repas à 1 euro dans les restaurants universitaires et 200 millions pour les associations d’aide aux personnes vulnérables et à l’hébergement d’urgence, par exemple.
Le sort des jeunes est le plus représentatif. Alors que les images révélaient l’ampleur de la précarité étudiante, le gouvernement a choisi d’y répondre par… des aides aux entreprises : jusqu’à 4 000 euros de prime à l’embauche, 8 000 euros pour un apprenti. En revanche, il est resté fermement opposé à l’instauration d’un RSA jeune. Et quand il finit enfin par vouloir accorder une aide directement aux ménages, avec le revenu d’engagement qui doit être ajouté par amendement au budget 2022, il impose des contreparties.
La philosophie du gouvernement peut se résumer ainsi : on peut faire confiance aux entreprises pour qu’elles utilisent correctement les aides et les baisses d’impôts, pas les ménages… Cette obsession pour la compétition fiscale et cette croyance qu’en réduisant les prélèvements sur les entreprises et les plus riches, comme par magie, les industries reviendront et l’économie sera plus dynamique traduit « une aspiration néolibérale datée », lance Emilie Cariou. « Ce refus de réguler les entreprises reflète une vision très financiarisée de l’économie en décalage avec le réel. »
« Ce choix [des baisses d’impôts] reflète une vision très restrictive de la compétitivité des industries nationales et des stratégies des entreprises, dictée uniquement par une logique de coût », écrivait Vincent Vicard, chercheur au Cépii, dans une tribune publiée par Le Monde fin 2020. « Les montants engagés sont conséquents […] pour des résultats clairement décevants sur le front industriel. »
« La France ne souffre pas de la performance de ses grandes entreprises, poursuivait l’économiste, mais de son tissu productif sur le sol national. » Les grandes entreprises tricolores sont compétitives sur les marchés internationaux, mais, contrairement aux allemandes, elles « délaissent le territoire français pour leurs activités de production ». En cause, l’éloignement géographique entre les centres de décision et les sites de production, ainsi que la moindre représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance, a avancé Vincent Vicard dans une étude.
Malgré ce diagnostic erroné, le gouvernement annonce d’ores et déjà, dans l’optique d’un second mandat, la poursuite de cette politique avec, en prime cette fois, le retour à la rigueur budgétaire.

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