La très attendue révision du règlement Reach, pilier de la stratégie zéro pollution du Green Deal européen, a été reportée à la fin 2023, compromettant son adoption sous la législature d’Ursula von der Leyen.
Le 25 avril, la Commission européenne présentait sa « feuille de route » pour éliminer les substances chimiques les plus dangereuses pour la santé et l’environnement des produits de grande consommation à l’horizon 2030. Saluée comme la promesse d’une « révolution », cette réforme sans précédent est en passe d’être enterrée.
Pilier de la stratégie zéro pollution du Pacte vert européen, cette réforme est censée passer par une révision en profondeur du règlement européen Reach sur les substances chimiques. La proposition de révision – en particulier l’évaluation des risques par famille de substances et non plus au cas par cas – devait initialement être présentée avant la fin de l’année, puis au printemps 2023. Elle vient d’être reportée au quatrième trimestre 2023. La décision a été actée mardi 18 octobre par le collège des commissaires européens lors de l’adoption du programme de travail de la Commission pour l’année 2023.
Les prochaines élections européennes étant programmées en 2024, la réforme n’a désormais que très peu de chances d’aboutir sous la législature d’Ursula von der Leyen. Sa mise en œuvre sera suspendue à la nouvelle composition du Parlement européen.
« Avec ce report inacceptable, la Commission enfonce le dernier clou dans le cercueil de la réforme Reach, déplore l’eurodéputée belge (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) Maria Arena. Les lobbys de l’industrie chimique ont gagné. » Membre de la commission environnement du Parlement, elle avait déposé une résolution, dès juillet 2020, pour soutenir cette révision. « Le message est désormais clair, observe-t-elle aujourd’hui, les profits de l’industrie chimique sont plus importants que la santé des Européens. On se souviendra du Green Deal européen comme du Toxic Deal européen ! »
L’argument ukrainien
Depuis plusieurs semaines, les géants allemands de la chimie, Bayer et BASF en tête, multiplient les interventions auprès de la Commission pour demander de marquer une pause dans sa « stratégie pour la durabilité des produits chimiques ». Dans un appel publié le 4 octobre, la Fédération allemande de l’industrie de la chimie exhortait à repousser toutes les initiatives législatives faisant « peser des charges supplémentaires sur la compétitivité de l’industrie ». Raison invoquée : le contexte de crise énergétique lié à la guerre en Ukraine, qui menacerait les compagnies européennes.
Le volet agricole du Pacte vert européen est, lui aussi, remis en question par la guerre en Ukraine, plusieurs Etats membres, dont la France, arguant d’une baisse possible de la production dans l’Union européenne (UE), consécutive à la mise en place des réductions de pesticides et d’intrants prévus par la stratégie « Farm to Fork ».
L’argument ukrainien a également été repris par le groupe du Parti populaire européen (PPE, droite) au Parlement et par le commissaire au marché intérieur et à l’industrie, Thierry Breton. Dans une lettre datée du 30 septembre, le Français appelait à un « moratoire ». Selon nos informations, lors d’une réunion préparatoire organisée la semaine dernière, son cabinet a demandé à sortir la révision Reach du programme de travail 2023 de la Commission. Plusieurs sources, à Bruxelles et au Parlement, soulignent l’engagement personnel de M. Breton pour exclure du calendrier la révision de la directive Reach.
« Il n’a jamais été question de remettre en question la révision de Reach, mais simplement de desserrer le calendrier, assure-t-on dans l’entourage du commissaire Breton. On ne peut pas s’engager sur un calendrier sans tenir compte de la réalité économique qui a changé » depuis l’annonce du 25 avril.
La référence à la santé et à l’environnement ajoutée in extremis
Publié en annexe du programme 2023 de la Commission, le texte final précise que l’objectif de la révision Reach est de « garantir les avantages concurrentiels et l’innovation en Europe en promouvant des produits chimiques durables par la simplification et la rationalisation du processus réglementaire, la réduction de la charge [sur les entreprises] et en protégeant la santé humaine et l’environnement ».
La référence à la santé et à l’environnement a été ajoutée in extremis. Dans une version que Le Monde avait consultée après la réunion des chefs de cabinet, vendredi 14 octobre, toute mention des enjeux sanitaires et environnementaux avait été supprimée : seule la nécessité de simplifier les procédures et de renforcer la compétitivité des entreprises européennes était mentionnée. La référence est réapparue après que Le Monde s’est étonné de sa disparition auprès du cabinet de Thierry Breton.
Exit, toutefois, la première version où l’« objectif principal » de la réforme restait de « remplacer les substances chimiques les plus nocives par des alternatives plus sûres et plus durables et [de] renforcer la protection de la santé humaine et de l’environnement par une approche plus large de l’évaluation des risques et la prise en compte de l’exposition multiple aux substances chimiques ».
Dans une lettre conjointe envoyée le 4 octobre, les ministres de l’environnement de huit Etats membres, dont la France et l’Allemagne, avaient demandé à Bruxelles de « tenir ses promesses » et de « ne pas laisser la révision Reach à la prochaine Commission ». Le ministère de la transition écologique n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
Bataille au sein de la Commission
Egalement contactée, la direction générale (DG) chargée de l’environnement à Bruxelles assure dans une formule très diplomatique que « la révision de cet important texte législatif nécessite une préparation et une consultation approfondies, afin de garantir qu’il soit élaboré de manière à assurer une meilleure protection de la santé et de l’environnement contre les substances chimiques dangereuses et à soutenir la compétitivité de l’UE ».
Depuis plus de deux ans, la DG environnement tente de faire avancer ce dossier au cœur du Green Deal européen malgré les coups de frein de la direction chargée du marché intérieur et de l’industrie de Thierry Breton.
Pour certains députés européens, même un retour au calendrier annoncé en avril ne serait pas la garantie d’une adoption avant la fin du mandat d’Ursula von der Leyen. « Il va nous falloir maintenir la pression sur la Commission, dont la présidence est favorable à la révision de ce texte. Nous avons appris qu’il pourrait même être prêt dès avril [2023], explique l’eurodéputé écologiste belge Philippe Lamberts. Mais même si c’est le cas, il sera très difficile que le Parlement adopte sa position, puisque le trilogue [réunion tripartite avec le Conseil de l’UE, la Commission et le Parlement] s’engage avec le Conseil, avant la fin de la législature. »
Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Stéphane Mandard